DROIT ET DÉMOCRATIE CHEZ HANS KELSEN. LA CRITIQUE KELSÉNIENNE DE LA PERSONNALISATION DE L’ÉTAT

Soraya Nour Sckell[1]

RÉSUMÉ : Cette étude analyse comment Kelsen, pour libérer le droit et la démocratie des traces de ce qu’il appelle les hypostases collectives ou la mythologie de l’âme collective, prend position face aux grandes théories de la sociologie et de la psychologie sociale de son temps (Durkheim, Simmel, Weber et Freud). D’abord, il s’agira de montrer comment Kelsen critique les métaphores de l’âme collective ; ensuite, de montrer comment la pensée kelsénienne sur le droit et la démocratie essaie d’échapper aux problèmes liés à la métaphore de l’âme collective. Cela peut laisser entrevoir quelques points communs entre la théorie de Kelsen et les théories contemporaines sur le droit et la démocratie libérées des prémisses de l’idée d’une communauté homogène.

MOTS-CLÉ : Kelsen. Durkheim. Simmel. Weber. Freud. Démocratie.

INTRODUCTION

La personnalisation de l’État dans les théories juridiques, ainsi que l’application à l’État d’autres concepts ou métaphores personnalistes tels que volonté de l’État, volonté générale, etc., accompagnent tout le développement du droit moderne dans le cadre d’usages multiples, différant radicalement les uns des autres, et dont les fonctions sont antagoniques. A l’époque de la consolidation de l’État moderne au XVIIIème siècle, c’est afin de dissocier l’État de la personne du souverain et de l’identifier avec les citoyens que le philosophe Emmanuel Kant présente une conception personnaliste de l’État2, en opposition à une conception patrimonialiste selon laquelle le souverain considère l’État comme sa propriété[2]. C’est parce que l’État est une personne que Kant estime qu’il est inadmissible que les souverains le répartissent, le vendent, l’échangent, en héritent, le donnent comme dot de mariage, ainsi que, dans le droit des gens, que l’État soit assujetti, conquis et annexé[3]. Cette personne juridique est épistémologiquement purement formelle, elle n’a aucune substance et ne présuppose pas de société homogène.

Cependant, l’usage de ce concept tend de plus en plus à reposer sur l’hypothèse de formations collectives relativement homogènes, un sens qui n’existait pas chez Kant. Selon cet usage du terme, l’idée de volonté générale devient une conception de volonté substantielle, exprimant ce qu’un groupe relativement homogène sent, pense et veut, comme si le groupe était une personne s’exprimant par l’État. C’est ce développement qui, au début du XXème siècle, mène le juriste Hans Kelsen à mobiliser tous ses efforts dans une lutte incessante contre la personnalisation substantialiste de l’État partout où elle apparaît. Selon lui, l’idée d’une collectivité homogène ignore en effet tous les rapports de force existant dans une société, tous les conflits qui la travaillent, et même les différentes volontés opprimées qui ne s’expriment pas dans la volonté générale : les voix des femmes, du prolétariat, des minorités exclues... C’est donc la démocratie elle-même qui ne peut en aucun cas reposer sur cette conception.

Mais comment expliquer quel type de formation sociale est l’État ? Quelle est la nature de cette « unité spécifique d’une multiplicité d’individus » [4] ? Kelsen ne croyait pas que les théories sociologiques qui réfléchissaient sur le phénomène de socialisation des individus pussent s’appliquer à l’État, dès lors que celui-ci ne présuppose aucune communauté. D’ailleurs, ces théories cherchant à décrire l’existence des groupes sociaux ne les expliquaient pas de manière adéquate, en recourant à l’idée de la formation d’entités supraindividuelles, comme le faisaient selon lui, par exemple, aussi bien Emile Durkheim que Georg Simmel, chez qui Kelsen était convaincu de rencontrer les prémisses d’une conception de l’âme collective. De plus, même une théorie qui expliquerait correctement la formation d’un groupe social sans présupposer la formation d’une entité supra-individuelle, comme Kelsen pensait la trouver chez Sigmund Freud, ne pourrait pas s’appliquer à l’État, puisque celui-ci est formé de plusieurs groupes sociaux en antagonisme constant. Enfin, il engage même un profond combat épistémologique contre des théories démocratiques formées par des soucis politiques qui étaient aussi les siens, tels que la crainte de l’autoritarisme et de l’exclusion sociale. C’est la condition de la construction d’une science adéquate du droit et de la démocratie, absolument libre de toute association à l’idée d’une communauté. 

Cette étude analyse comment Kelsen, pour libérer le droit et la démocratie des traces de ce qu’il appelle les hypostases collectives ou la mythologie de l’âme collective, prend position face aux grandes théories de la sociologie et de la psychologie sociale de son temps. Dans la première partie, il s’agira de montrer comment Kelsen critique les métaphores de l’âme collective ; dans la deuxième, de montrer comment la pensée kelsénienne sur le droit et la démocratie essaie d’échapper aux problèmes liés à la métaphore de l’âme collective. Cela peut laisser entrevoir quelques points communs entre la théorie de Kelsen et les théories contemporaines sur le droit et la démocratie libérées des prémisses de l’idée d’une communauté homogène.

PARTIE I : LA CRITIQUE DE KELSEN DE Lâme collective 1. LA CRITIQUE ÉPISTÉMOLOgIQUE DU CONCEPT DâME COLLECTIvE

On s’imagine demeurer dans la sphère du psychologique et, ce faisant, appréhender cependant le supra-individuel, lorsque l’on reconnaît une pluralité d’individus comme une forme du lien social ou de l’unité sociale – une communauté –, du fait que l’on croit pouvoir admettre, d’une manière ou d’une autre, un accord dans le contenu de leurs volontés, de leurs sentiments ou de leurs idées. On pourrait parler à cet égard d’un parallélisme des processus psychiques, et l’on a toujours affaire à un tel parallélisme lorsqu’il est question d’une volonté générale, d’un sentiment commun, d’une conscience ou d’un intérêt généraux ou communs. C’est même cette réalité que la psychologie des peuples, comme on la nomme, appelle esprit du peuple. Dans la mesure où cette expression vise à n’exprimer rien de plus qu’une certaine communauté de conscience, c’est un concept qui n’engage à rien. Néanmoins, il y a une tendance évidente à poser cet esprit du peuple comme une réalité psychique différente des psychismes individuels ; cette notion de Volksgeist prend ainsi le caractère métaphysique de l’esprit objectif chez Hegel.[5]

La critique de Kelsen des théories substantialisantes de la société a d’abord un caractère épistémologique, sur lequel va s’appuyer ensuite sa critique politique : c’est parce que ces théories essaient d’appliquer à la société la méthodologie des sciences naturelles qu’elles substantialisent les liens sociaux, comme dans les conceptions de l’âme collective. L’État est considéré comme une réalité naturelle et le lien des individus qui constituent une formation sociale, comme une relation causale (soumise aux catégories de cause et d’effet), ce qui donne à ces théories le caractère d’une biologie. Les faits sociaux sont définis comme des processus psychiques se déroulant dans l’âme, et le lien social comme les influences psychiques réciproques d’une personne sur l’autre. Kelsen croit trouver une variante de cette conception chez Georg Simmel. Or il suffirait, pour Kelsen, de prendre en compte les forces de dissociation entre les personnes pour remarquer que, si d’un côté les personnes sont liées, dans leurs interactions au sein de groupes sociaux, par des intérêts économiques, nationaux, religieux etc., d’un autre côté les différents groupes sont justement séparés par ces intérêts.

Psychologiquement, analyse Kelsen, le lien social signifie que lorsqu’on dit que « A est lié à B », il ne s’agit pas d’une relation externe (entre deux corps dans le même espace), mais interne, consistant en ceci que, dans son psychisme, A se sent lié à B. Cependant, cette représentation s’exprime par une image spatiale et corporelle que Kelsen décrit comme un transfert équivoque d’un phénomène psychologique individuel vers le monde extérieur. Le résultat est « le dépassement et la négation de l’individu »[6].

Les théories qui affirment que les formations sociales, consolidées à partir d’influences réciproque entre éléments psychiques, sont de nature supra-individuelle, créent ainsi une hypostase, une théorie de la société dite organique, qui est pour Kelsen de l’ordre de la mythologie. Cette représentation d’une âme collective amène à imaginer un corps qui porte cette âme : on y voit une supra-individualité objective – une âme collective par-delà les âmes individuelles, et puisque qu’une âme a besoin d’un corps, un corps collectif distinct des corps individuels, créant une hypothèse de caractère mystique qui empêche l’analyse scientifique des rapports sociaux.

2. LA CRITIQUE IDÉOLOgIQUE DU CONCEPT DâME COLLECTIvE

Kelsen ajoute à cette réflexion une analyse d’un problème politique fondamental : ces théories n’expliquent pas comment les différences disparaissent des consciences, et donc comment les conflits d’une société se réduisent jusqu’à devenir invisibles. D’une part, les individus membres de l’État ne participent pas tous à l’interaction psychique censée constituer un groupe sociologique dont l’unité empirique[7] formerait la base de l’État : « Parmi les individus ressaisis dans l’unité juridique de l’État, il y a des enfants, des fous, des dormeurs et d’autres encore à qui la conscience de l’État fait totalement défaut » [8]. Par ailleurs, l’analyse sociologique révèle une division entre classes sociales au sein d’un État, et il serait alors contradictoire d’affirmer que bourgeoisie et prolétariat sont séparés par l’opposition de leurs consciences de classes et, en même temps, liés par la communauté de leurs consciences d’État[9]. L’opposition de classe doit disparaître de la conscience pour que la communauté étatique – comme unité réelle, psychosociologique – puisse exister, rôle attribué habituellement, analyse Kelsen, aux partis politiques : les oppositions entre les groupes politiques doivent être remplacées par une conscience d’État, pour que les membres juridiques des États forment dans leur réalité psychologique une unité. Cependant, observe-t-il, les intérêts de classes, religieux et nationaux sont supérieurs à la conscience d’État[10]. La référence historique de Kelsen est son propre État d’origine, qui révèle une caractéristique générale du droit normatif :

Face à l’État autrichien, composé d’un si grand nombre de groupes différents par la race, la langue, la religion et l’histoire, les théories qui tentaient de fonder l’unité de l’État sur je ne sais quelle cohésion sociopsychologique ou socio-biologique des personnes lui appartenant juridiquement, se révélaient de toute évidence comme des fictions[11].

Kelsen critique ainsi la tendance à donner un sens réaliste, empirique et psychologique à ce qu’on appelle la volonté générale ou l’intérêt général de l’État. Il ne nie pas qu’il y ait des groupes sociaux possédant un vouloir collectif, mais il les perçoit comme provisoires et instables. Par exemple une foule avec une communauté de volonté, de sentiment ou de représentation est toujours instable, fluctuante, elle est une communauté qui apparaît et disparaît soudainement : elle ne peut donc pas offrir de structure durable à l’État. De plus, une communauté de volonté, de sentiment ou de représentation ne peut pas être fondée seulement sur l’interaction. L’ecclésiastique qui porte ses fidèles à un état d’extase, le discours d’un chef qui conduit une multitude à une exaltation révolutionnaire, sont pour Kelsen quelques exemples d’une communauté qui n’est pas engendrée par l’interaction entre des individus singuliers, mais par un tiers extérieur, qui a donc un rôle principal dans ce processus, même si la conscience que les autres sentent, pensent ou veulent de façon identique crée aussi une intensification psychique de la vie entre individus.

3. LA CRITIQUE DE KELSEN à DURKHEIM

C’est aussi chez Durkheim que Kelsen croit trouver les prémisses des métaphores de l’âme du peuple. Le premier point que Kelsen critique chez Durkheim est son analyse, qui se veut objective (ce qui pour Kelsen signifie non critique et ainsi légitimatrice), de la manière dont la société est représentée par l’individu de manière similaire à Dieu et à son autorité.

Le problème sociologique principal de Durkheim est de découvrir ce qui a déterminé les différentes sortes d’autorité morale s’exprimant par différentes formes de contraintes extérieures, et pour ce faire il considère deux aspects distincts mais également réels des phénomènes sociaux : 1) le premier est la pression sociale ; 2) l’autre, qui lui est presque opposé, est l’appui donné par la société à l’individu[12]. Durkheim observe que la société éveille dans les esprits la sensation du divin, représentant pour ses membres ce que Dieu est pour ses fidèles : ainsi comme Dieu me semble être quelque chose de supérieur dont je crois dépendre, la société m’oblige à me soumettre à ses règles de conduite et de pensée. L’empire de la société découle ainsi de son autorité morale : elle est respectée, elle suscite ou inhibe mon action et ma pensée, indépendamment de l’utilité ou de la nocivité de leurs conséquences.

Le commandement agit par ses propres forces, excluant la délibération ou le calcul. L’individu, sans s’apercevoir de l’influence de la société sur son action sociale, invente un système d’interprétations mythologiques, se représentant ces puissances sous des formes transfigurées, qui ne peuvent être expliquées, selon Durkheim, que par le scientifique. La pression sociale est ainsi le premier des deux caractères des phénomènes sociologiques :

Le problème sociologique – si l’on peut dire qu’il y a un problème sociologique – consiste à chercher, à travers les différentes formes de contrainte extérieure, les différentes sortes d’autorité morale qui y correspondent, et à découvrir les causes qui ont déterminé ces dernières. En particulier, la question que nous traitons dans le présent ouvrage a pour principal objet de trouver sous quelle forme cette espèce particulière d’autorité morale qui est inhérente à tout ce qui est religieux a pris naissance et de quoi elle est formée.[13]

Durkheim analyse aussi comment cette pression sociale transmet une sorte d’énergie vitale aux individus lorsque ceux-ci se conforment aux attentes (justes ou injustes) de la société, ce qui pour Kelsen semble légitimer encore plus cette autorité sans la critiquer. Durkheim considère que de la même manière que Dieu n’est pas seulement une autorité dont je dépends, mais aussi une force sur laquelle je m’appuie, qui me donne confiance et énergie, la société pénètre ma conscience, elle m’élève, me réconforte et me vivifie :

Le sentiment que la société a de lui rehausse le sentiment qu’il a de luimême. Parce qu’il est en harmonie morale avec ses contemporains, il a plus de confiance, de courage, de hardiesse dans l’action, tout comme le fidèle qui croit sentir les regards de son dieu tournés bienveillamment vers lui[14].

Tel soutien de mon être moral varie selon mon rapport plus ou moins actif avec les groupes sociaux qui m’entourent ; je perçois que ce tonus moral dépend d’une cause que je méconnais, que je me représente comme autre chose que moi-même, comme une conscience morale représentée par des symboles religieux.

Or le point décisif de Kelsen est le suivant : considérer les règles sociales comme des règles divines[15] qui s’imposent en tant qu’obligations aux individus signifie passer de la connaissance psychologique à la réflexion axiologique éthico-politique ou juridique. L’intention que Kelsen attribue à Durkheim est de vouloir de fonder la sociologie comme si elle était une science de la nature, développant l’idée comtienne qu’il faut prendre les phénomènes sociaux pour des faits naturels, des choses soumises à des lois naturelles, en opposant à une connaissance des idées ou des idéologies une science des réalités. Les faits sociaux sont pris pour des choses en tant qu’ils sont objectifs, autonomes par rapport aux individus ; ils se manifestent dans l’action, la pensée et les sentiments des individus, mais ne sont pas pris pour des émanations individuelles[16] : le groupe est supposé penser différemment de ses membres isolés. D’où la critique de Kelsen :

Reconnaître que les hommes singuliers se comportent autrement qu’à l’état d’individus isolés quand ils sont associés mutuellement, voilà qui conduit à hypostasier et accepter de façon non critique l’idée d’une réalité sociale qui se tiendrait en dehors des hommes eux-mêmes. La différence des fonctions associées à la différence des conditions se transforme en différence entre substances, en ‘choses’ différentes [...] La méthode sociologique de Durkheim est-elle autre chose que l’application d’une conception naïvement substantialiste et donc mythologique à l’observation du comportement humain soumis au jeu d’influences réciproques ?[17]

En d’autres termes, en pensant que les hommes se comportent différemment associés que s’ils demeurent isolés, on hypostasie l’idée d’une communauté sociale en en faisant une réalité sociale extérieure aux individus, à laquelle on peut ensuite attribuer un intérêt général, une volonté générale, etc. Kelsen attribue à la sociologie de Durkheim une tendance normative parce que l’existence des choses sociales, réalités naturelles, indépendantes des désirs et volontés individuels, assigne une validité objective à des normes éthiques et politiques, qui prennent dès lors une validité dogmatique. Chaque société impose impérativement des obligations aux individus, avec une transcendance semblable à celle de la divinité pour les religions. Ce que l’on perçoit a priori comme une simple manière d’agir, de penser et de sentir d’un individu lui a été en fait imposé de manière coercitive, par l’entremise d’une pression extérieure irrésistible, par la société : « Durkheim n’a pas tant ou du moins pas seulement tendance à expliquer le fait psychologique par la force motivante attachée à certaines représentations normatives : il en justifie la validité en les fondant sur une autorité, sur la société élevée au rang d’une divinité »[18]. Or l’idée de la société comme un être divin qui s’impose aux individus, ainsi que l’idée de l’effervescence collective, ne sauraient que difficilement être rendues compatibles avec la notion kelsénienne d’une société démocratique, dans laquelle tous les divers intérêts pourraient se développer – en particulier ceux contraires aux normes majoritaires, et donc susceptibles d’entraîner une transformation sociale et juridique. Il faudrait expliquer autrement pourquoi les règles sociales s’imposent, en évitant de naturaliser ce processus (ce qui permettrait d’ailleurs de s’y opposer). Kelsen estime que l’identification de l’autorité sociale avec l’autorité religieuse ne découle pas nécessairement de la découverte d’une source commune au lien religieux et au lien social. Freud en effet, selon Kelsen, a aussi remarqué les rapports entre le lien religieux et le lien social, mais il les a expliqués par la psychologie individuelle, sans justifier l’autorité sociale. Ceci permettrait de penser une autre forme de société, où les normes sociales ne s’imposeraient pas à l’individu, et où l’individu serait lui-même l’auteur des normes juridiques – ces dernières pourraient même être contraires aux normes sociales, et donc capables de les faire progresser.

4. LA RÉCEPTION DE FREUD CHEZ KELSEN

Kelsen trouve dans la Massenpsychologie de Freud un dispositif théorique pour assoir sa critique de la méthode hypostasiante[19]. Ce texte de Freud, qui veut dans un premier moment s’opposer à la Psychologie des Foules[20] de Gustave Le Bon, développe des idées sur les formations sociales déjà présentées dans Totem et Tabou[21], et qui seront plus tard amplifiées dans ses textes de critique culturelle. Kelsen voit posé dans cette œuvre le problème même du lien social en général, même si Totem et Tabou, traitant d’un problème particulier de la psychologie sociale (la psychologie des foules, telle qu’elle a été développée par Sighele et Le Bon), semble tout d’abord avoir peu à proposer à une théorie du droit.

Kelsen n’a en aucune façon l’intention de faire la synthèse de la psychanalyse et du droit et pense tout au contraire que l’antagonisme entre ces deux disciplines résulte de l’antagonisme entre l’individu et la société, dont les différents problèmes ne peuvent être saisis par une seule science. Son recours à la psychanalyse doit servir plutôt à renforcer sa critique de la sociologie psychologique moderne, dès lors que la critique de Freud à Le Bon est du même genre que la critique de Kelsen à la sociologie holiste. Le Bon considère une foule comme une réunion d’individus, qui devient une foule psychologique quand, dans certaines circonstances, elle acquiert une âme collective : dans la foule, je perds ma structure psychique si particulière pour acquérir les mêmes caractéristiques que tous les autres, j’entre entre dans un état hypnotique où ma personnalité consciente disparaît, et je tends à réaliser sans hésiter les idées qu’on me suggère : « ce n’est pas le besoin de la liberté, mais celui de la servitude qui domine toujours l’âme des foules. Leur soif d’obéissance les fait se soumettre d’instinct à qui se déclare leur maître. »[22] Le Bon affirme que les foules tendent à l’autoritarisme et l’intolérance, respectent la force et méprisent la bonté, éprouvent de la sympathie non pour les maîtres débonnaires, mais pour les tyrans qui les dominent, un héros tel que César : « son panache les séduit, son autorité leur impose et son sabre leur fait peur[23]. » Les foules, continue Le Bon, deviennent facilement criminelles, parce qu’alors qu’il est dangereux pour un individu isolé de satisfaire ses instincts de férocité destructive, la foule irresponsable assure une impunité[24].

Kelsen observe comment la différence de comportement des individus quand ils forment une foule, d’une part, et quand ils sont isolés, d’autre part, produit la fiction d’une opposition entre l’individu et la foule :

On hypostasie ainsi une unité purement abstraite, on projette dans la réalité à travers l’hypothèse d’une âme collective un rapport de concordance entre le contenu de nombreux psychismes individuels, et à l’occasion on insiste tout à fait sciemment sur ce point, tout en rejetant sans autre forme de procès l’hypothèse selon laquelle on n’aurait affaire qu’à l’expression abrégée et imagée pour désigner un ensemble de phénomène singuliers similaires […]. Comme les individus (dans la foule) manifestent des caractéristiques nouvelles, on hypostasie la foule pour en faire un corps, un nouvel individu – porteur de ces propriétés.[25]

Kelsen considère que Freud est allé au-delà de Le Bon dans son explication de ce qui caractérise la liaison des foules. Il dévoile le mystère de l’âme collective hypostasié et fait du problème de la foule le problème de l’unité sociale, du lien social en général. Avec Freud, Kelsen peut identifier une autre forme de lien social, la relation dans laquelle un individu fait d’un autre individu l’objet de son désir, la libido, qui était considérée comme spécifique de l’amour ou de l’amitié, mais devient avec Freud un problème central de la psychologie sociale, portant sur la nature du lien social. Par la libido, Freud comprend la liaison des individus dans une unité sociale comme une liaison affective, due à deux raisons : il n’y a qu’Eros qui assure l’unité de tout ce qui existe ; quand l’individu renonce à tout ce qui lui est particulier pour se laisser influencer par les autres, il fait cela par amour pour autrui, pour être en accord avec lui, et non en opposition[26]. Cependant, il ne s’agit pas là de pulsions amoureuses poursuivant des fins sexuelles directes, mais de pulsions déviées de leurs buts primitifs, sans perte d’énergie. Les individus, en foule, « supportent tous les particularités de ces voisins, ils les considèrent comme leurs égaux, ils n’ont aucune aversion pour eux ». Une telle restriction du narcissisme[27], une telle limitation de son amour propre ne peut résulter que de la fixation libidinale à d’autres personnes, de l’amour pour des objets extérieurs.

Le type spécifique de relation libidinale dans une foule est l’identification[28], par laquelle Freud explique les comportements collectifs. Ce qui pour Kelsen manque alors dans la sociologie est la compréhension psychologique du phénomène de l’identification entre les individus dans une masse. La sociologie peut constater les phénomènes de comportement collectif, mais elle ne peut pas expliquer l’intériorisation des règles sociales. Kelsen trouve dans la psychanalyse l’explication du caractère ambigu du processus de l’identification, cette forme la plus primitive de fixation affective à une personne ou à un objet qui devient le phénomène central dans la construction du caractère. Freud observe, d’une part, que dès lors que chacun participe à plusieurs groupes sociaux (famille, école, religion etc.), d’une multiplicité d’identités, c’est par l’identification à plusieurs modèles que l’individu construit une personnalité indépendante et originale et établit des rapports affectifs à autrui ; l’identification soutient ainsi la formation du caractère unique de chacun et le maintien de la vie en commun, fournissant les fondements de la culture. D’autre part, ce processus est rompu quand l’identité est fixée dans un seul modèle tenu pour invariable, exclu par d’autres ou qui en exclut d’autres. Le concept le plus important pour Kelsen, le nœud de son argument contre la sociologie psychologique moderne, devient alors le concept freudien d’identification : « L’identification avec l’autorité : voici le secret de l’obéissance »[29]. On voit donc que Freud décompose les phénomènes de foule en y voyant simplement un ensemble d’attitudes psychiques individuelles, ce qui lui permet d’expliquer le fait complexe par le fait simple et d’éviter de devoir poser l’hypothèse qu’émerge un être social d’un genre nouveau. C’est cette idée que Kelsen reprend chez Freud.

La psychanalyse permet à Kelsen de réduire la catégorie d’âme aux actes psychiques individuels, ce qui peut être étendu à d’autres entités sociales, réduisant ce qui se présente comme substance ou chose solide à une fonction ou relation ; ainsi est rejetée la conception de la sociologie selon laquelle les formations sociales sont consolidées, à partir d’actions réciproques, en un élément psychique de nature supra-individuelle – par exemple une âme collective.

PARTIE II : LA THÉORIE DU DROIT DE KELSEN 1. LA DISTINCTION ENTRE LE POINT DE vUE jURIDIQUE ET LE POINT DE vUE SOCIOLOgIQUE

Kelsen confronte ces trois disciplines – droit, psychanalyse et sociologie – pour arriver aux mêmes conclusions que la psychanalyse sur certains comportements collectifs (soumission des individus à une autorité), que d’après lui la sociologie de l’époque ne pouvait pas comprendre. Cependant, la perspective que Kelsen va privilégier dans ses textes successifs n’est pas celle de la psychanalyse, mais celle de la théorie juridique, dont il s’agit maintenant de voir comment elle se constitue après cette critique des théories sociologiques substantialisantes. Dès lors qu’il considère l’État comme un type d’unité distincte des liens sociaux étudiés par les sociologies holistes, il importe pour Kelsen tout d’abord de bien définir les bases épistémologiques de la théorie du droit, qui seront différentes de celles de la sociologie. Il trouve une partie de son inspiration chez Max Weber, comme Norberto Bobbio[30] l’a analysé en détail. Dans son texte L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales, Weber affirme que

il n’y a aucune analyse purement objective de la vie culturelle ou […] des phénomènes sociaux, indépendamment du point de vue spécifique et unilatéral suivant lequel ils […] sont choisis comme objet de recherche, analysés et organisés dans l’exposition. Ceci tient au caractère spécifique du but cognitif de tout travail de science sociale, qui veut échapper à une considération purement formelle - juridique ou conventionnelle - des normes de la vie sociale en commun (soziales Beieinandersein)[31].

A partir de cette conception wébérienne qui distingue le travail des sciences sociales d’une science juridique purement formelle, Kelsen explique sa position lors de son élaboration d’une théorie du droit : « si je peux préciser mon point de vue avec les mots de Max Weber, la caractéristique du but cognitif de mon travail consiste en ce que celui-ci veut donner un traitement purement formel à la norme juridique, parce que il me paraît que sur cette limitation se base l’essence du traitement formel-normatif de la jurisprudence ».[32] Son but – distinguer le point de vue juridique du point de vue sociologique comme du point de vue psychologique – s’opère sur la base des deux grandes antithèses être/devoir (Sein/Sollen)[33] et forme/contenu, où le droit se reporte au Sollen et à la forme, la sociologie et la psychologie à l’être (Sein) et au contenu.[34] A partir de cette distinction, Kelsen, en suivant Weber, en établit d’autres comme celles entre société et droit, entre sociologie et jurisprudence, entre sphère de la connaissance et sphère de l’action. Le problème méthodologique est précisément celui de la distinction entre science naturelle et science de l’esprit, et pour Kelsen, tout particulièrement, celui de la distinction entre science explicative et science normative. La sociologie du droit est partie intégrante d’une science explicative de la vie sociale, mais elle ne peut pas expliquer ce qu’est le droit.[35] La distinction épistémologique la plus importante n’est pas entre le causal et le téléologique[36], mais entre le causal et le téléologique d’un côté (sphère de l’être) et le normatif d’un autre côté (sphère du devoir-être). Le droit n’est pas non plus la forme de la société et de l’agir social, ce qui serait confondre la validité empirique et la validité normative. 

La différence établie par Weber[37] entre le point de vue juridique et le point de vue sociologique découle de celle existant entre validité empirique et validité idéale : ce qui intéresse la sociologie, dans le domaine de l’être, est la validité empirique ; ce qui intéresse la science du droit (et la sociologie du droit de Weber) est, dans le domaine du devoir-être, la validité idéale. Le problème de la validité idéale est de découvrir le sens normatif d’une norme juridique dans un système juridique supposé sans contradictions. Le problème de la validité empirique est l’investigation de la motivation qui pousse les individus dans une communauté à orienter leur comportement selon un ordre juridique considéré empiriquement valide. Kelsen définit ainsi le problème de la théorie du droit comme celui de la validité idéale, et non celui de la validité empirique. Cela explique pourquoi les théories substantialisantes de la société ne peuvent pas appliquer leur méthode à l’État :

L’’organisation’ et l’institution sont en effet des complexes de normes, des systèmes de prescriptions régulant les conduites humaines ; comme telles, c’est à dire au sens spécifique qu’elle possèdent en propre, on ne peut les appréhender que dans la perspective d’une réflexion orientée vers la validité normative (Soll-Geltung) dans ces normes, et non vers l’efficacité positive (Seins-Wirksamkeit) des actes et des représentations humaines qui ont ces normes pour contenu.[38]

Si Kelsen distingue le point de vue juridique du point sociologique, cela ne signifie pas que sa pensée juridique puisse s’affranchir d’une réflexion sur la société et sur la psychologie individuelle. Sa conception d’une société conflictuelle (en opposition aux théories sociologiques holistes) ainsi que sa conception psychologique informée par Freud – toutes deux dans le domaine du Sein, et non du Sollen – sont fondamentales pour comprendre sa théorie juridique. Ces deux points de vue (du Sein et du Sollen) se montrent bien dépendants l’un de l’autre, mais il s’agit pour Kelsen de définir rigoureusement la différence de perspective lorsqu’il traite de théorie du droit, et lorsque il présente sa conception de la société et de la psychologie individuelle. D’ailleurs, c’est la théorie du droit qu’il a développée en profondeur ; ses considérations sociologiques et psychologiques ont un rôle fondamental, mais n’ont pas été développées au point qu’on puisse trouver chez lui une théorie sociologique ou psychologique dont la complexité approche celle de son œuvre juridique. Elles ne demeurent que sous la forme d’une esquisse, auxquelles il fait référence (rappelant toujours que la société est conflictuelle et non homogène, et que la psychologie est individuelle et non collective) et dont il tire des conséquences pour sa théorie juridique.

2. UNITÉ jURIDIQUE

Kelsen a puisé dans la psychanalyse les fondements de la critique de l’État comme une unité sociale, mais ce n’est que de façon négative que la psychanalyse peut lui rendre service : elle montre négativement que l’État n’est pas une unité sociale, mais elle n’identifie pas quel est le type spécifique de liaison active dans l’État, de sorte que la question : « qu’est-ce qui constitue l’unité de l’État, si ce n’est pas l’unité sociale empirique ? » reste ouverte. La réponse de Kelsen est qu’il y n’a dans l’État qu’une unité juridique, unifiant tous ceux qui se soumettent à la même loi ; c’est ce qui caractérise l’appartenance à un État comme purement juridique. La notion de validité idéale joue ici un rôle central, dès lors que la norme juridique a validité (dans le vocabulaire de Weber : validité idéale) avec ses lois propres et spécifiques pour tous ceux qui appartiennent juridiquement à un État. Si Kelsen reproche à la sociologie de se fonder sur le concept d’unité sociale, il n’abandonne pas le concept d’unité, mais considère que l’unité dans l’État est seulement juridique, et non sociale. D’où l’importance de ne pas confondre, au contraire de ce que, selon Kelsen, fait la sociologie de son temps, l’unité sociologique, empirique et causale avec l’unité juridique de l’État. Le lien entre les individus dans un État ne peut se produire que par un ordre juridique valable, de telle façon que tous ceux pour qui cet ordre juridique est supposé valide sont admis comme membres de l’État.

Cette conception kelsénienne de l’État comme unité juridique cherche alors à échapper aux apories aussi bien de la sociologie que de la psychanalyse. Le processus d’identification décrit par Freud n’a son aspect positif de formation du caractère que dans la psychologie individuelle, mais non pour établir des liens sociaux ou des sentiments d’appartenance à un État ; dans une institution comme l’État, l’identification ne peut servir qu’à produire des hypostases collectives. Epistémologiquement, Kelsen veut ainsi distinguer la science juridique d’une science sociologique appuyée sur un système causal naturel. L’appartenance à un ordre juridique n’est pas une connexion d’ordre causal : tous ceux pour qui cet ordre juridique est supposé valide sont admis comme membres de l’État. Il est inadmissible, pour Kelsen, de créer la fiction d’une unité sociologique, empirique et causale, qui se confond avec l’unité juridique de l’État.

3. LES CONFLITS DE LA SOCIÉTÉ

Considérant les notions de volonté d’État et d’unité sociologique dans l’État comme une fiction (il y a seulement les volontés individuelles et il ne peut y avoir qu’une unité juridique, mais aucune unité sociologique dans un État), Kelsen conçoit l’État historique comme l’organisation de la domination. Les théories qui présentent l’État comme l’instrument de la volonté générale ou d’une communauté solidaire considèrent l’idéal comme réalité ou, pire encore, essayent de justifier une réalité. Pour Kelsen, cependant, l’idéal d’un intérêt qui va au-delà des intérêts de groupe, comme l’idéal d’une solidarité entre tous les membres dans une société sans distinction de nationalité, classe, religion etc., est une illusion métaphysique.[39]Kelsen reproche à l’école moderne du droit naturel d’avoir une vision idéaliste de la nature humaine, et critique aussi le marxisme, puisqu’il y a des conflits qui ont leur base dans la psychologie, et non dans l’économie. Le marxisme, d’après Kelsen, affirme que la suppression des contradictions économiques va supprimer toutes les contradictions vitales. Cependant, il y a des conflits religieux, artistiques et de sexe qui ne peuvent pas se réduire aux conflits économiques : toute différence d’opinion peut devenir une opposition de vie et de mort. La croyance à la solidarité sociale se base sur l’ignorance de la nature humaine ou sur l’espoir de sa transformation radicale. Les relations de domination devaient être expliquées à partir de la nature psychique de l’être humain. Cependant, le marxisme affirme que, parce que le capitalisme est diabolique, l’être humain devient méchant. Pour Kelsen, au contraire, le capitalisme – un système d’exploitation qu’il considère, certainement, comme condamnable – est possible seulement à cause de l’impulsion humaine à utiliser les autres comme moyen pour ses propres fins, une impulsion qui peut trouver une opportunité dans l’exploitation économique ainsi que dans d’autres formes d’exploitation[40].

Enfin, il faut souligner que même la conception psychologique de l’État comme la somme d’un rapport de forces est pour Kelsen problématique, parce qu’il ne peut en réalité y avoir unité ni des dominants, ni des dominés. Or, Kelsen voit toute domination comme une motivation, où la volonté d’un homme devient la volonté d’un autre, un phénomène qu’il trouve dans toutes les relations entre personnes, même dans les relations d’amour et d’amitié. Ainsi, les rapports sociaux impliquent toujours un rapport de forces, un pôle plus fort et un pôle plus faible[41].

4. DÉMOCRATIE ET CRITIQUE DE LA REPRÉSENTATION

Kelsen a reproché aux sociologies holistes de négliger la conflictualité du social, et il a montré comment la société, selon lui, se forme surtout par des conflits. On pourrait cependant lui reprocher, à son tour, que sa conception d’unité juridique tombe dans les mêmes difficultés qu’une théorie de l’unité sociale. Cependant, Kelsen comprend cette unité juridique non pas comme le produit d’une volonté commune ou d’un consensus, mais comme le résultat d’un compromis passé entre les intérêts les plus divergents. Les conséquences de cette vision doivent changer la conception classique de souveraineté : il faut, par-delà cette dernière, faire en sorte que les conflits se manifestent directement dans l’État. Ceci passera par une transformation des mécanismes de représentation et par l’introduction de formes de démocratie directe, afin que tous les intérêts puissent se manifester dans le moment législatif. Il y a donc une étroite articulation entre sa critique des sociologies holistes, sa théorie du conflit et sa proposition de renouvellement du Parlementarisme. Cette articulation est exprimée dans son étude Le Problème du Parlementarisme[42]. Engagé dans une discussion sur la crise, la banqueroute et l’agonie du Parlementarisme, Kelsen considère que, puisque la lutte historique contre l’autocratie était en fait une lutte pour le parlementarisme (pour une constitution qui donne place à la représentation du peuple dans la formation de la volonté de l’État), la démocratie moderne dépend de la capacité du Parlementarisme – la seule forme réelle apte à réaliser la démocratie – à résoudre les problèmes sociaux de son temps, ce qui pour lui signifie être capable de rendre compte de tous ses conflits, et non de les occulter en propageant l’idée d’une volonté générale qui puisse être représentée par quelques élus : « c’est pourquoi la décision sur le parlementarisme est en même temps la décision sur la démocratie. »[43]

Tout d’abord, Kelsen critique l’argument, populaire en son temps, proposant de transformer le Parlement en une sorte d’organisation corporatiste: ceci suppose que ceux qui exercent la même profession ont les même intérêts, atténuant ainsi les conflits au sein d’une profession. Selon le principe de la division de travail, il faudrait introduire des parlements spécialisés pour les différents domaines de législation à la place d’un corps légiférant, central, universel et élu démocratiquement. Cependant, contrant l’idée qu’existe une certaine unité sociale à l’intérieur des catégories sociales, Kelsen observe que les individus n’ont pas seulement des intérêts professionnels – ils ont d’autres intérêts vitaux, tels que les intérêts religieux, éthiques, esthétiques, et ils désirent aussi un certain encadrement juridique du mariage, du rapport entre l’État et l’Église, ainsi que de tous les autres rapports sociaux[44]. De plus, poursuit-il, les travailleurs de toutes les professions se sentent plus unis entre eux qu’avec les employeurs capitalistes d’une même profession. L’organisation corporatiste n’exprime pas les vraies forces sociales : tout au contraire, c’est le principe de majorité-minorité, forme officielle du Parlement démocratique, qui constitue la véritable expression de la société partagée en deux classes. Cet argument est lié à une critique idéologique. Historiquement, observe Kelsen, les corporations professionnelles ont toujours été le moyen pour un groupe de dominer l’autre: « n’est-il pas remarquable que l’appel à l’organisation corporatiste vienne du côté bourgeois au moment où le prolétariat, jusqu’à maintenant minorité, devient majorité, et où le parlementarisme démocratique menace de se tourner contre le groupe qui jusqu’à maintenant avait la domination politique ? »[45]

C’est parce que Kelsen part d’une conception de la société comme conflictuelle, à la différence des thèses sociologiques holistes soulignant l’unité sociale, qu’il peut critiquer tous les principes classiques du Parlementarisme. La définition usuelle est que le Parlementarisme résulte d’un organe élu par le peuple au suffrage universel et égalitaire, selon le principe de la majorité, en vue de former la volonté étatique. Le premier principe contenu dans cette définition est le principe de la liberté, de l’autodétermination démocratique : la lutte pour le parlementarisme toujours a été, en fait, une lutte pour la liberté politique. Cependant, observe Kelsen, la réalité sociale et la praxis politique nient l’existence de la liberté, qui signifie autodétermination politique : l’ordre social doit être formé par tous ceux qui y appartiennent, mais le peuple ne construit pas l’ordre social – tout simplement il choisit les individus censés d’être les représentants du peuple, considérés comme une hypostase collective, comme dans la théorie du contrat social. Or pour Kelsen la volonté de quelques individus ne signifie pas la volonté du peuple, puisque que les volontés des uns et des autres diffèrent toujours et sont en conflit.

Le deuxième principe est l’intermédiation dans la formation de la volonté – le principe de la représentation –, ce qui implique une division du travail, une différentiation sociale. L’idée que le Parlementarisme exprime la liberté démocratique s’appuie sur ce que Kelsen nomme la fiction de la représentation – une conception selon laquelle le peuple ne peut s’exprimer que par le Parlement qui le représente, même si le Parlement est indépendant du peuple et si les Parlementaires ne reçoivent aucune instruction obligatoire de leurs électeurs. La fiction de la représentation légitime ainsi le parlement d’après le principe de la souveraineté populaire. Or il n’est pas possible, pour Kelsen, de représenter le peuple, de la même manière qu’une personne ne peut pas en représenter une autre, puisqu’elles auront nécessairement des intérêts divergents.

Dès lors qu’il n’y pas de vraie représentation, dès lors qu’il n’y pas une unité de volonté, les parlementaires doivent être toujours soumis au contrôle du peuple. Kelsen n’accepte donc pas le principe de la non-responsabilité des parlementaires. Le principe de l’immunité (d’après lequel un parlementaire peut être jugé et condamné seulement si le Parlement est d’accord) avait comme fonction de protéger les parlementaires lors de la monarchie constitutionnelle, mais n’a plus de sens dans une république parlementaire. Kelsen considère aussi que si le peuple s’oppose au Parlement, celui-ci doit être dissous – ceci ne signifie pas forcement que le Parlement suivant exprimera la volonté du peuple, ce qui, de par le caractère conflictuel du social, est impossible – mais au moins ne sera-t-il pas en opposition avec lui.

S’il n’est pas possible que la volonté étatique soit construite par le peuple à tous ses niveaux, il est cependant possible que le peuple puisse quand même par d’autres moyens participer plus intensément à la législation que dans le cas du Parlement, dans lequel sa participation est restreinte à l’élection. Le référendum (non seulement constitutionnel, mais aussi législatif) rend cette participation plus ample. Une autre institution considérée par Kelsen comme permettant une ingérence immédiate du peuple dans la formation de la volonté de l’État est l’initiative populaire, par laquelle un certain nombre d’électeurs font une proposition de loi, dont le Parlement est obligé de s’occuper. Cette institution, d’après Kelsen, devrait avoir plus de place dans la constitution, et permettre au peuple de présenter surtout des directives générales ; comme les électeurs ne peuvent pas donner des instructions au Parlement, ils pourraient au moins donner à leurs représentants des motivations pour les orienter.

Le troisième principe que Kelsen critique est le principe de la majorité. Le Parlement est basé sur le principe de la majorité et l’ordre social est constitué par la majorité, mais une majorité suppose une minorité. Donc, seulement celui qui appartient à la majorité est libre et s’autodétermine. La minorité est en contradiction avec l’ordre social. Même celui qui appartient à la majorité n’est pas complètement libre, parce qu’il ne peut pas changer son avis sans avoir besoin de trouver une autre majorité à laquelle se rejoindre pour pouvoir être de nouveau libre. Le principe de la majorité ne permet pas à tous les différents intérêts d’être représentés au Parlement ; il ne permet pas que toutes les opinions et contre-opinions se développent – problèmes qui sont aujourd’hui au cœur de la discussion sur la démocratie et la crise de la représentation. À la suite des atrocités de la Seconde Guerre mondiale, Kelsen, imaginant peut-être trop limitées les chances de contrôler la souveraineté de l’État par le droit interne, se consacre surtout à l’étude du droit international : il cherchera désormais dans un droit extérieur à l’État le moyen permettant de freiner adéquatement sa souveraineté toujours féroce.[46].

Un des auteurs qui a poursuivi la critique de Kelsen de l’âme collective, et qui a appelé au contrôle de la souveraineté de l’État par le droit international, est le philosophe Jürgen Habermas. Certes, les deux auteurs ont d’immenses différences épistémologiques et politiques – l’une des plus importantes étant que le droit pour Kelsen est le produit d’un compromis, puisque la divergence de la pluralité des intérêts est inconciliable, tandis que Habermas, en mettant l’accent sur la rationalité de la construction du droit, le voit produit non pas par un compromis, mais par un consensus, résultat d’une communication dans laquelle le meilleur argument a convaincu, ce qui risquerait pour Kelsen de retomber dans les métaphores de la volonté générale qu’il a tant critiquées. Mais les deux philosophes se rapprochent plus sur un autre point : dans sa critique du nationalisme, Habermas s’oppose à un point de vue ethno-national de la société, qui présuppose l’existence de la nation, d’un peuple avec une homogénéité culturelle[47] ; ceci rend impossible de penser l’État dans le cadre d’une société multiculturelle, c’est-à-dire une société où coexistent différentes communautés ethniques, groupes linguistiques, confessions, images du monde et modes de vie[48]. La nation des citoyens ne trouve pas son identité dans les similarités ethnico-culturelles[49] ; le consensus doit se baser sur l’unité d’une procédure[50], lors de laquelle « les mêmes principes légaux doivent être interprétés des perspectives de différentes traditions nationales, de différentes histoires nationales »[51]. De cette façon, il n’y a pas de contradiction entre l’universalisme des principes légaux et le particularisme des interprétations de ces principes légaux imprégnées par les différentes histoires nationales. Ceci permet aussi, pour Habermas, l’accord entre les étrangers et signifie l’inclusion de l’autre – ce qui n’implique pas une uniformité. [52]

Dans ses derniers textes, Habermas a introduit des expressions comme l’identité européenne, en se rapportant aux systèmes juridiques comme l’expression des valeurs et de la culture d’un peuple[53]. Il s’agit sûrement d’une réponse aux critiques d’une vision trop formaliste et aveugle aux enjeux socioculturels, ainsi que d’une tentative de rendre compte des divergences des systèmes politiques, juridiques et culturels. Cependant, on ne voit pas clairement comment cette notion de culture, même si elle ne comporte que l’attitude envers les droits humains, pourrait échapper aux imprécisions que Habermas voulait lui-même combattre dans ses textes antérieurs. Elle semblerait, du point de vue de Kelsen, se rapprocher de cette substantialisation qu’il ne pouvait tolérer chez Simmel et Durkheim, et qu’il considèrerait sans doute être encore à l’œuvre aujourd’hui.

ABSTRACT: The aim of this essay is to analyse how Kelsen criticises the major theories of sociology and social psychology of his time (Durkheim, Simmel, Weber and Freud) in order to liberate law and democracy from what he calls collective hypostasis or the mythology of the “collective soul”. The first part investigates how Kelsen criticises the metaphors of the collective soul. The second part addresses how Kelsen built a theory of law and democracy that sought to escape from problems correlated to the metaphors of the collective soul. The results enable the reader to glimpse some common points between Kelsen’s ideas and contemporary projects to elaborate a theory of law and democracy released from the premises implicated by the idea of a uniform community.

KEYWORDS: Kelsen. Durkheim. Simmel. Weber. Freud. Democracy.

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Recebido em: 04/08/14

Aceito em: 18/11/14



[1] Soraya Nour Sckell, Centre de Philosophie de l’Université de Lisbonne. sorayanour@yahoo.com VLACHOS, Georges. La pensée politique de Kant. Paris: PUF, 1962, p. 565.

[2] KANT, Immanuel. Rechtslehre (1797). In: PREUSSISCHE AKADEMIE DER WISSENS-

CHAFTEN. Kantswerke. Berlin: Walter de Gruyter, 1900b. v. 6, p. 317.

[3] KANT, Immanuel. Zum ewigen Frieden (1795). In: PREUSSISCHE AKADEMIE DER WISSENSCHAFTEN. Kantswerke. Berlin: Walter de Gruyter, 1900a. v. 7, p. 344. Cf. SANER, Hans. Die negativen Bedingungen des Friedens. In: HÖFFE, Ottfried. Immanuel Kant : Zum ewigen Frieden. Berlin : Akademie Verlag, 1995, p. 43-67; p. 59-60.

[4] KELSEN, Hans. Der Begriff des Staates und die Sozialpsychologie. Mit besonderer Berücksichtigung von Freuds Theorie der Masse. Imago, Vienne, v. VIII, n. 2, p. 97-141, 1922. Traduction française : Le concept d’État et la psychologie sociale. Comportant en particulier un examen de la théorie freudienne des foules. Incidence 3, Paris, p. 157-199, p. 97 [trad. p. 157], 2007.

[5] KELSEN,  Der Begriff des Staates, op. cit., p. 105 [trad. p. 164].

[6] KELSEN, Der Begriff des Staates, op. cit., p. 104 [trad. p. 163].

[7] KELSEN, Hans. Aufsätze zur Ideologiekritik. Introduction de Ernst Topitsch. Neuwied: Luchterhand, 1964. KRAWIETZ, Werner; TOPITSCH, Ernst; KOLLER, Peter (Dir.). Ideologiekritik und Demokratietheorie bei Hans Kelsen. Berlin: Duncker und Humblot, 1982.

[8] KELSEN, Der Begriff des Staates, op. cit., p. 101 [trad. p. 160].

[9] KELSEN, Hans. Sozialismus und Staat (1920). Leipzig: Hirschfeld, 1923.

[10] KELSEN, Hans. Das Problem des Parlamentarismus (1926). Darmstadt: Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1968. 

[11] Cité par Rudolf A. Métall, in : KELSEN, Hans. Vie et Œuvre. Extrait in: Incidence 3, Paris, p. 218219, 2007.

[12] DURKHEIM, Émile. Les formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie.

Paris: Librairie Générale Française, 1991, p. 365 sq.

[13] Ibid., p. 369.

[14] Ibid., p. 373.

[15] BEAUD, Olivier; PASQUINO, Pasquale (Dir.). La controverse sur le gardien de la Constitution et la justice constitutionnelle: Kelsen contre Schmitt. Paris: Panthéon-Assas, 2007.

[16] KELSEN, Der Begriff des Staates, op. cit., p. 127-128 [trad. p. 184].

[17] Ibid., p. 129-130 [trad. p. 185].

[18] Ibid., p. 132 [trad. p. 187].

[19] Pour l’influence de Kelsen sur Freud, voir BALIBAR, Etienne. Freud et Kelsen, 1922. L’invention du Surmoi. Incidence 3, Paris, p. 21-73, 2007.

[20] LE BON, Gustave. Psychologie des Foules (1895). Paris: PUF, 1981.

[21] FREUD, Sigmund. Totem und Tabu (1912-1913). In: Studienausgabe, Vol. IX. Francfort-sur-leMain: Fischer, 2000a.

[22] LE BON, Psychologie, op. cit., p. 71.

[23] Ibid., p. 28.

[24] Ibid., p. 29.

[25] KELSEN, Der Begriff des Staates, op. cit, p. 111-112 [trad. p. 170].

[26] FREUD, Sigmund. Massenpsychologie und Ich-Analyse (1921) In: Studienausgabe. Frankfurt am Main: Fischer, 2000c, v.9.

[27] FREUD, Sigmund. Zur Einführung des Narzissmus (1914). In: Studienausgabe. Frankfurt am Main: Fischer, 2000b, v. 3.

[28] FREUD, Massenpsychologie, op. cit.

[29] KELSEN, Hans. Staatsform und Weltanschauung. Tübingen: Mohr, 1933, apud HERRERA, Carlos Miguel. Communauté introuvable, inéluctable contrainte. Le Freud de Kelsen. Incidence 3, Paris, p. 84, 2007.

[30] Ce qui suit s’appuie sur cette étude de BOBBIO, Norberto. Max Weber e Hans Kelsen. In: Diritto e Potere. Saggi su Kelsen. Napoli: Edizioni Scientifiche Italiane, 1992, p. 159-177, ainsi que sur l’ouvrage PAULSON, Stanley L. (Dir.). Hans Kelsen und die Rechtssoziologie: Auseinandersetzungen mit Hermann U. Kantorowicz, Eugen Ehrlich und Max Weber. Aalen: Scientia-Verlag, 1992.

[31] WEBER, Max. Die Objektivität sozialwissenschaftlicher und sozialpolitischer Erkenntnis (1904). In: WEBER, Max. Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre. Edité par Johannes Winckelmann. Tübingen: Mohr, 1985a, p. 148-161.

[32] KELSEN, Hans. Hauptprobleme der Staatsrechtslehre entwickelt aus der Lehre vom Rechtssatzes (1911). Aalen: Scienta Aalen, 1960, Vorrede.

[33] Voir la critique de Kelsen, en suivant Weber, de la distinction de Stammler entre science causale de la nature et science téléologique de la société (thèse méthodologique), ainsi qu’entre droit comme forme et économie comme contenu.

[34] KELSEN, Hans. Der Staatsbegriff der “verstehenden Soziologie”. In: Der soziologische und der juristische Staatsbegriff (1922). Tübingen: Mohr, 1928. Il faut noter que le chapitre “Rechtssoziologie”, de Wirtschaft und Gesellschaft (1921) (Tübingen: Mohr, 2001), chapitre dans lequel Weber présente son sociologie du droit, a été retrouvé seulement postérieurement, et publié seulement dans l’édition de 1960.

[35] Voir la critique de Kelsen, à la suite de Weber, à Kantorowicz et Ehrlich de ne pas distinguer entre validité idéale et validité réelle, réduisent la jurisprudence à une discipline sociologique (PAULSON, op. cit.). Pour la position de Kantorowicz, voir: KANTOROWICZ, Hermann. Rechtswissenschaft und Soziologie. Karlsruhe: Muller, 1962. Pour la position de Ehrlich, voir: EHRLICH, Eugen (1913). Grundlegung der Soziologie des Rechts. Berlin: Duncker und Humblot, 1989. KELSEN, Hans; EHRLICH, Eugen. Rechtssoziologie und Rechtswissenschaft: eine Kontroverse (1915 / 1917). Baden-Baden: Nomos, 2003. Pour la critique de Weber, voir: WEBER, Max. Schriften der deutschen Gesellschaft für Soziologie. Tübingen: Mohr, 1911, p. 323-330; Gesammelte Aufsätze zur Soziologie und Sozialpolitik. Tübingen: Mohr, 1988; Wirtschaft und Gesellschaft, op. cit.

[36] Voir la critique de Weber et Kelsen à Rudof Stammler. STAMMLER, Rudolf. Wirtschaft und Recht nach der materialistischen Geschichtsauffassung (1896), Berlin: Walter de Gruyter, 1924; KELSEN, Hauptprobleme, op. cit.; WEBER, Max. Wirtschaft und Gesellschaft, op. cit.; WEBER, Max. Überwindung der materialistischen Geschichtsauffassung (1907). In:Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre. Edité par Johannes Winckelmann. Tübingen: Mohr, 1985b.

[37] Ibid. Voir aussi WEBER, Max. Überwindung der materialistischen Geschichtsauffassung, op. cit.

[38] KELSEN, Der Begriff des Staates, op. cit., p. 124 [trad. p. 181].

[39] HERRERA, Carlos Miguel. Théorie juridique et politique chez Hans Kelsen. Paris: Kimé, 1997, p. 109.

[40] HERRERA, Théorie juridique, op. cit., p. 250-251.

[41] KELSEN, Der Begriff des Staates, op. cit., p. 108-109 [trad. p. 167].

[42] KELSEN, Hans. Das Problem des Parlamentarismus (1926). Darmstadt: Wissenschaftliche Buchgesellschaft , 1968.

[43] KELSEN, Parlamentarismus, op. cit., p. 5.

[44] Ibid., p. 26.

[45] Ibid., p. 26.

[46] KELSEN, Hans. Law and peace in international relations. Cambridge: Harvard University Press, 1948; Peace throught law. Chapel Hill: The University of North Carolina Press, 1944.

[47] HABERMAS, Jürgen. Die Einbeziehung des Anderen: Studien zur politischen Theorie. Frankfurt am Main: Suhrkamp, 1996. p. 158.

[48] HABERMAS, Einbeziehung, op. cit, p. 174.

[49] HABERMAS, Jürgen. Faktizität und Geltung. Francfort-sur-le-Main: Suhrkamp, 1992. p. 636.

[50] Ibid, p. 638.

[51] Ibid., p  643.

[52] HABERMAS, Einbeziehung, op. cit, p. 164-165.

[53] HABERMAS, Jürgen. Ach, Europa. Francfort-sur-le-Main: Suhrkamp, 2008.