“SCHLECHTHIN NOTHWENDIGES WESEN: EN MARGE DE LA QUATRIEME ANTINOMIE

Ferdinando Luigi Marcolungo[1]

ABSTRACT: Le défi des antinomies joue un rôle décisif dans l’élaboration même de la pensée kantienne ; cela devient particulièrement significatif par rapport à l’Être absolument nécessaire, qui devrait dépasser le niveau des phénomènes même lorsque, comme l’on dit dans la thèse de la quatrième antinomie, l’on l’entend comme quelque chose du monde. Dans la structure même des antinomies nous sommes forcés à aller au-delà de l’expérience, à un Être qui dépasse radicalement le monde ; en ce sens, même à l’intérieur de la pensée kantienne, l’analogie classique reste la structure spécifique de la métaphysique, surtout par la possibilité de dire la transcendance sans la réduire jamais au niveau des phénomènes.

MOTS-CLEFS : Kant. Antinomies. Métaphysique. Analogie.

Dans le texte de la quatrième antinomie nous pouvons retrouver quelques concepts qui reviendront plus tard dans la discussion de la preuve cosmologique de l’existence de Dieu. La comparaison des différentes formulations nous permettra de clarifier le rôle que la quatrième antinomie joue dans la recherche kantienne.

En particulier, nous voudrions souligner le dépassement du plan cosmologique et la référence à la transcendance de l’Être nécessaire, comme conséquence du conflit insoluble qui se produit lorsque nous cherchons l’absolument Nécessaire au niveau du phénomène. Le but sera de montrer la découverte de quelques passages essentiels de la métaphysique, au-delà des critiques formulées par Kant. À cette fin, il deviendra crucial de clarifier la structure antinomique des remarques kantiennes, afin de confirmer leur portée réelle dans l’économie générale de sa pensée.

1.                        Nous connaissons tous la formulation de la quatrième antinomie, où dans la thèse l’on plaide pour l’existence de l’Etre absolument nécessaire: “Au monde appartient quelque chose qui, soit comme sa partie, soit comme sa cause, est un être absolument nécessaire [ein schlechthin nothwendiges Wesen]” (KrV, A 452/B 480 ; OP I, 1108), tandis que dans l’antithèse l’on affirme avec force : “Il n’existe nulle part aucun être absolument nécessaire, ni dans le monde, ni hors du monde, comme sa cause” (KrV, A 453/B 481 ; OP I, 1109). Dans le texte de Kant, nous pouvons tout d’abord remarquer le caractère cosmologique de l’antinomie, même s’il apparaît dès le début une différence, au moins dans la formulation de ces deux possibilités. D’une part, dans la thèse l’on dit: “Zu der Welt gehört etwas...”, ce qui est traduit en italien par Giovanni Gentile par l’expression : “Nel mondo c’è qualcosa…” (KANT, 2000, p. 304)[2]; de l’autre, dans l’antithèse, “Es existirt überall kein...” est toujours traduit en italien par Gentile avec “In nessun luogo esiste...” (p. 305). Cette fois, la distinction de la thèse entre “o come sua parte o come sua causa”, semble devenir dans l’antithèse “né nel mondo, né fuori del mondo, come sua causa”, qui en italien c’est précisément cette fois le calque du texte allemand.

La traduction italienne signe en quelque sorte une interprétation, justifiée toutefois par le texte de Kant dans son ensemble; la traduction explicite le sens de cette référence au monde (“Zu der Welt gehört etwas...”), contenue dans la thèse. L’interprétation (“dans le monde”) semble cependant exclure que l’expression de l’antithèse “hors du monde” (“außer der Welt”) puisse être entendue comme une réalité qui est complètement au-delà de la série des phénomènes, comme d’ailleurs il est amplement évident dans la démonstration même de la thèse. Même lorsque dans l’antithèse l’on traduit “überall” avec l’expression “nulle part”, on souligne que l’on ne nie pas en général la possibilité d’un être absolument nécessaire, mais plutôt la possibilité de l’identifier dans la série des phénomènes ; l’on dit en effet: “il n’y a nulle part”, plutôt qu’“en général, il n’existe pas”, comme l’on pourrait traduire le texte kantien.

Cependant, au-delà de ces détails qui touchent le cœur de la quatrième antinomie par rapport à ce que Kant indique ensuite comme sa solution, dans la distinction entre les antinomies mathématiques et les antinomies dynamiques, je pense qu’il est utile de montrer deux aspects qui sont étroitement liés à l’expression “schlechthin nothwendiges Wesen”, à savoir l’être absolument nécessaire, qui vient d’être utilisée par Kant. D’une part l’utilisation de cette terminologie et la réflexion sur le sens précis du mot “nécessaire” rejoignent étroitement la quatrième antinomie à la discussion de la preuve cosmologique dans le successif chapitre du deuxième livre de la Dialectique transcendantale consacré à l’idéal transcendantal; de l’autre, la solution de la quatrième antinomie est liée à la conclusion que Kant explicite dans la comparaison entre la théologie transcendantale et la théologie naturelle, dans la dernière section consacrée à la “[…] critique de toute théologie tirée de principes spéculatifs de la raison” (KrV, A 631/B 659 - A 642/B 670 ; OP I, 1238-1246).

2.                        Afin de nous clarifier la signification de l’expression “schlechthin nothwendiges Wesen”, nous pourrions revenir un peu en arrière, remontant en particulier à la Métaphysique allemande de Wolff, où l’on peut retrouver la distinction entre ce qui est conditionnellement nécessaire et ce qui est absolument nécessaire. Au propos du monde, Wolff reprend la définition de Leibniz de nécessité hypothétique, indiquée par l’expression “unter gewissen Bedingungen” (WOLFF, 1983, § 330). Il faut distinguer entre ce qui est absolument nécessaire et ce qui est nécessaire seulement par rapport à des conditions particulières: “Es ist aber allerdings ein mercklicher Unterscheid – avait dit Wolff – unter demjenigen, was schlechterdings nothwendig ist, und was nur unter einer gewissen Bedingung, als, in unserem gegenwärtigen Zusammenhanges der Dinge nothwendig ist” (§ 575). La distinction nous rappelle la distinction traditionnelle entre an sich et unter gewissen Bedingungen, que nous retrouvons chez Kant. Déjà la traduction de Wolff de l’adverbe absolute avec schlechterdings, comme nous voyons dans le glossaire latinallemand joint à la Métaphysique allemande (“Schlechterdinges nothwendig, Absolute necessarium, geometrice necessarium, metaphysice necessarium”), ouvre la voie pour comprendre la familiarité entre ces termes que nous trouvons chez Kant, soit dans l’utilisation de l’adjectif “absolu”, que dans la dérivation “schlechthin” qui accompagne, mais pas de manière exclusive, le terme “nothwendig” dont nous venons de parler. Il est intéressant de noter que le terme unbedingt, par lequel Kant indique la nécessité inconditionnée ou absolue, est le calque, en négatif, de l’expression “unter gewissen Bedingungen” déjà utilisée par Wolff. C’est significatif que dans la preuve de l’antithèse nous retrouvons associées les expressions “schlechthin nothwendig und unbedingt”, à indiquer l’étroite connexion entre les deux termes (KrV, A 453/B 481 ; OP I, 1111 : “[…] absolument nécessaire et inconditionnée”).

L’expression “absolument nécessaire” peut sembler redondante, mais elle est en même temps indispensable lorsque l’on doit distinguer entre ce qui est nécessaire sous certaines conditions et ce qui est absolument nécessaire. Plutôt qu’utiliser l’expression plus sobre “être nécessaire”, il faut préciser ainsi qu’il s’agit d’un être doué de nécessité absolue par rapport à la série  des changements: “Also muß etwas Absolut-Nothwendiges existiren, wenn eine Veränderung als seine Folge existirt” (KrV, A 452/B 480 ; OP I, 1110). Or la formulation de la thèse ne nous dit pas simplement qu’un tel être absolument nécessaire existe, mais qu’il est lié au monde: autrement, la condition suprême du commencement de la série de phénomènes s’évanouirait. À cette fin Kant dit: “Also ist in der Welt selbst etwas Schlechthin-Nothwendiges enthalten (es mag nun dieses die ganze Weltreihe selbst, oder ein Theil derselben sein)” (KrV, A 454/B 482; OP I, 1110).

J’avoue que j’éprouve toujours un certain malaise en examinant l’argument en faveur de la thèse kantienne de la quatrième antinomie; on s’attendrait que dans le second point Kant veuille réclamer l’existence au-delà du monde d’un tel être absolument nécessaire. En ce sens, d’ailleurs, semble nous conduire le parallélisme avec la formulation de l’antithèse, qui nie en fait qu’un tel être existe ou comme partie du monde, ou à l’extérieur ou au-delà du monde. Et pourtant, il y a certainement une raison plus profonde qui, je crois, peut expliquer la formulation de la thèse: la référence à l’horizon cosmologique semble être essentielle dans la clarification du conflit, contrairement à ce que l’on dira plus tard dans la solution de la quatrième antinomie dans la dernière section du chapitre. Cette référence est due à la revendication de la “nécessité de la nature”, en tant qu’horizon dans lequel chaque considération des phénomènes doit se poser. Le terme “nécessaire” semble se charger d’un sens supplémentaire lors de l’introduction de l’expression “schlechthin nothwendiges Wesen”, ou similaires, mais le terme “nécessaire” reste cependant lié aux conditions du phénomène, avant même de prendre une signification purement intelligible.

En ce sens vont précisément les considérations que l’on trouve dans les deux notes à la thèse et à l’antithèse, dans lesquelles on retrouve l’expression plus sobre “Être nécessaire”, qui explicite la référence à la théologie transcendantale. En fait, nous pouvons repérer dans la note à la thèse un renvoi à la preuve cosmologique, envers laquelle l’on peut souligner selon Kant que si nous partons de la série de phénomènes (“Reihe von Erscheinungen”) “[…] on ne peut plus ensuite s’en écarter soudain pour passer à quelque chose qui ne fait pas du tout partie de la série comme membre” (KrV, A 456/B 484 ; OP I, 1110)[3]. Ce qui reste c’est la référence au plan des phénomènes qui constituent le monde dans leur série.

Les concepts mêmes de contingent et de nécessaire doivent assumer un sens différent lorsqu’ils sont utilisés sur le plan intelligible ou nouménal et non plus seulement en rapport à leur signification dans l’expérience. Ce thème revient lorsque Kant traite explicitement de la preuve cosmologique, la reliant à la preuve ontologique:

Voulons-nous maintenant déterminer avec plus de précision cet être nécessaire en sa nature propre, nous ne cherchons pas ce qui est suffisant pour comprendre par son concept la nécessité de l’existence, car, si nous pouvions le faire, nous n’aurions besoin d’aucune présupposition empirique; non, nous ne cherchons que la condition négative (conditio sine qua non) sans laquelle un être ne serait pas absolument nécessaire. (KrV, A 611/B 639 ; OP I, 1223)[4].

La connexion avec la preuve ontologique devient ainsi évidente:

Or, cela irait bien dans toute autre espèce de raisonnement concluant d’une conséquence donnée à son principe; mais il se trouve malheureusement ici que la condition exigée pour la nécessité absolue ne peut se rencontrer que dans un être unique qui devrait par conséquent renfermer dans son concept tout ce qui est requis pour la nécessité absolue. (KrV, A 611/B 639 ; OP I, 1223)[5].

Pour ceux qui connaissent le texte du Beweis (1763), il sera aisé de repérer ici la référence à cet unique argument possible, qui ne devait pas être fondé sur une possibilité purement logique, mais sur une possibilité réelle: “Toute possibilité est donnée dans quelque chose d’existant, soit en lui, à titre de détermination, soit par lui, à titre de conséquence” (BDG, AA 02: 79 ; OP I, 334)[6]. Cela – semble dire Kant – n’est pas le cas de la preuve cosmologique, qui doit nécessairement se référer à la preuve ontologique pour démontrer la possibilité d’un être absolument nécessaire. La preuve cosmologique “[…] pour établir solidement son fondement, [...] s’appuie sur l’expérience [...]. Mais la preuve cosmologique ne se sert de cette expérience que pour faire un seul pas, c’est-à-dire pour s’élever à l’existence d’un être nécessaire en général” (KrV, A 606/B 634 ; OP I, 1220)[7][8].

Nous pouvons ainsi repérer, un peu plus avant, que le raisonnement de Kant est précisément fondé sur la distinction entre “nécessaire en général” et “absolument nécessaire”; la première étape peut être accomplie à partir de l’expérience, tandis que la seconde déborde les limites de l’expérience possible:

D’un autre côté, quel que soit le concept que j’admette d’une chose je trouve que l’existence de cette chose ne peut jamais être présentée par moi comme absolument nécessaire, que rien ne m’empêche, quelle que soit la chose qui existe, d’en penser la non-existence, et que par conséquent, quoique je doive admettre quelque chose de nécessaire pour ce qui existe en général, je ne puis cependant penser aucune chose singulière comme nécessaire en soi. (KrV, A 615/B 643 ; OP I, 1226-1227)8.

L’expression “an sich nothwendig”, comme nous le savons déjà, est équivalente à celle de “schlechthin nothwendig” à partir de laquelle nous avons commencé dans nos considérations. À la fin de la section consacrée à la preuve cosmologique, Kant conclut à l’impossibilité de déterminer la nécessité absolue en sens nouménal: “La nécessité inconditionnée dont nous avons si indispensablement besoin comme de l’ultime support de toutes choses est le véritable abîme de la raison humaine” (KrV, A 613/B 641 ; OP I, 1225)[9].

3. La structure de la quatrième antinomie et la reprise de son argumentation dans la preuve cosmologique ne peuvent pas nous faire oublier cependant la vision d’ensemble dans laquelle nous pouvons situer la pensée de Kant. En ce sens, les textes que nous avons mentionnés ne sont que préparatoires à la solution de ces mêmes problèmes que Kant nous suggère dans la Critique. Nous pouvons rappeler ce que dit Kant à la fin de l’Idéal de la raison pure, dans la septième section qui est consacrée à la critique de toute théologie transcendantale. Ici les deux termes, Ens realissimum et Ens necessarium, qui représentent respectivement le résultat à la fois de la preuve ontologique et de celle cosmologique, se mêlent dans cette théologie transcendantale à laquelle on reconnaît un rôle important, quoique fondamentalement négative. Le concept d’un “être nécessaire et souverainement réel” (“eines nothwendigen und allerrealsten Wesens”) (KrV, A 640/B 668 ; OP I, 1245), nous permet d’éviter toute forme d’athéisme, le déisme, ou l’anthropomorphisme, même s’il n’est pas capable d’offrir une théologie naturelle, c’est à dire une théologie qui nous permet de parler d’une “suprême intelligence” (“die höchste Intelligenz”), “[…] un concept qu’elle dérive de la nature (de notre âme)” (“einen Begriff, den sie aus der Natur (unserer Seele) entlehnt”) (KrV, A 631/B 659 ; OP I, 1238). Ce caractère personnel, sans lequel on ne dépasse point la position déiste, semble plutôt assuré par la théologie physique et surtout par la théologie morale, où nous admettons juste à côté de la causalité de la nature une causalité par liberté, puisque Dieu est généralement entendu “[…] non pas simplement [comme] une nature éternelle agissant aveuglément et étant comme la racine des choses, mais [comme] un être suprême qui doit être l’auteur des choses par entendement et par liberté” (KrV, A 632-633/B 660-661; OP I, 1239)[10].

À la lumière de ce tableau d’ensemble, nous pourrions conclure que la solution de la quatrième antinomie ne soit pas aussi importante que la solution de la troisième. La théologie transcendantale a pour Kant un rôle essentiellement négatif, envers les prétentions de l’athéisme, du déisme et de toutes les formes de l’anthropomorphisme. Au contraire l’affirmation de la liberté nouménale nous conduit à l’affirmation sur le plan pratique des lois morales absolument nécessaires:

Nous montrerons plus tard, à propos des lois morales, qu’elles ne présupposent pas seulement l’existence d’un être suprême, mais aussi que, comme elles sont absolument nécessaires à un autre point de vue, elles la postulent à juste titre, mais seulement à la vérité au point de vue pratique. (KrV, A 634/B 662; OP I, 1240)[11].

Au contraire, l’utilisation spéculative de la raison ne peut pas aller audelà d’“un simple idéal, mais un idéal exempt de défauts” (“ein bloßes, aber doch fehlerfreies Ideal”) (KrV, A 641/B 669; OP I, 1246). Dans ce domaine, la revendication d’une connaissance synthétique n’est possible qu’avec l’aide de la théologie morale.

Si nous revenons au texte de Kant, en particulier à la neuvième section de l’antinomie de la raison pure, nous pourrions cependant retrouver quelque suggestion qui pourrait nous expliquer comment le rôle négatif attribué à la théologie transcendantale est nécessairement accompagné en même temps d’un moment positif, ou constructif, qui tire sa force de l’analogie en vertu de laquelle nous avons tendance à dépasser les limites de l’expérience possible. À cette fin, il faut revenir à la prémisse de Kant à la solution des antinomies dynamiques:

Or, par cela même que les idées dynamiques permettent une condition des phénomènes en dehors de leur série, c’est-à-dire une condition qui n’est pas elle-même phénomène, il arrive quelque chose qui est tout à fait distinct de la conséquence de l’antinomie mathématique. […] le conditionné de part en part des séries dynamiques, qui est inséparable de ces séries considérées comme phénomènes, lié avec la condition, il est vrai empiriquement inconditionnée, mais aussi non sensible, d’un côté donne satisfaction à l’entendement, et, de l’autre, à la raison. (KrV, A 531/B 559 ; OP I, 1166-1167)[12].

Dans la note Kant explicite cette possibilité, soulignant la distinction entre l’intellect et la raison:

En effet, l’entendement ne permet point, parmi les phénomènes, une condition qui serait elle-même empiriquement inconditionnée. Mais si l’on peut concevoir au conditionné (dans le phénomène) une condition intelligible, qui n’appartienne donc pas comme membre à la série des phénomènes, sans rompre pour cela le moins du monde la série des conditions empiriques, une telle condition pourrait être admise comme empiriquement inconditionnée, de telle sorte qu’il ne se produise nulle part de ce fait aucune interruption de la régression empirique continue. (KrV, A 531/B 559 ; OP I, 1167)13.

La note de Kant laisse évidemment ouvertes quelques difficultés, car la relation entre l’intellect et la raison semble plus étroite qu’il ne puisse être suggéré par la subdivision des champs; et pourtant, un tel aveu de quelque chose qui n’est pas conditionnée empiriquement, semble toujours tomber à l’intérieur d’une condition intelligible qui peut et doit d’une quelque façon être jugée nécessaire. Sans s’attarder sur la solution de la quatrième antinomie, qui est de manière significative beaucoup plus concise que celle qui est réservé par Kant à la troisième, nous pourrions reprendre l’observation finale qui conclut le chapitre. Kant reconnaît que “[…] parmi toutes les idées cosmologiques, celle qui a occasionné la quatrième antinomie nous pousse à risquer ce pas” (KrV, A 566/B 594 ; OP I, 1191), à savoir d’aller au-delà du plan de l’expérience possible.

Le dépassement de ce plan est dicté, cependant, comme Kant peu après le souligne, par des instances spécifiques de nature théorique: “En effet, l’existence des phénomènes, qui n’est nullement fondée en soi-même mais qui est toujours conditionnée, nous engage à chercher quelque chose de distinct de tous les phénomènes, par conséquent un objet intelligible en

Erfolg der mathematischen Antinomie gänzlich unterschieden ist. [...] das durchgängig Bedingte der dynamischen Reihen, welches von ihnen als Erscheinungen unzertrennlich ist, mit der zwar empirisch unbedingten, aber auch nichtsinnlichen Bedingung verknüpft, dem Verstande einerseits und der Vernunft andererseits Genüge leisten [kann]”.

13 “Denn der Verstand erlaubt unter Erscheinungen keine Bedingung, die selbst empirisch unbedingt wäre. Ließe sich aber eine intelligibele Bedingung, die also nicht in die Reihe der Erscheinungen als ein Glied mit gehörte, zu einem Bedingten (in der Erscheinung) gedenken, ohne doch dadurch die Reihe empirischer Bedingungen im mindesten zu unterbrechen: so könnte eine solche als empirisch unbedingt zugelassen werden, so daß dadurch dem empirischen kontinuirlichen Regressus nirgend Abbruch geschähe”.

qui cesse cette contingence” (KrV, A 566/B 594 ; OP I, 1191-1192)[13]. La contingence, dont il nous vient de parler, doit certes être entendue dans un sens indéterminé, par rapport à la distinction que Kant avait déjà proposé entre contingence empirique et nouménale dans les notes à la quatrième antinomie, mais elle conserve toutefois une portée générale: ce qui est conditionné se réfère nécessairement à un inconditionné, sans toutefois nous permettre de le déterminer comme nous pouvons le faire pour les phénomènes : “Alors il ne nous reste plus autre chose” – continue Kant – “[…] que l’analogie, suivant laquelle nous employons les concepts de l’expérience pour nous faire quelque concept des choses intelligibles, dont nous n’avons pas en soi la moindre connaissance” (KrV, A 566/B 594 ; OP I, 1192)[14]. Ce passage se réfère, comme l’on le sait, à l’analytique des principes, précisément là où Kant vient d’introduire la distinction entre notions constitutives et régulatrices et passe à expliquer comment la raison nécessairement nous conduit au delà du plan du phénomène ; et cela en utilisant précisément cette structure analogique qui est propre de toutes nos connaissances philosophiques. Au contraire des mathématiques,

[...] dans la philosophie [...] l’analogie est l’égalité de deux rapports non quantitatifs, mais qualitatifs, dans lesquels à partir de trois membres je ne puis connaître et donner a priori que le rapport à un quatrième, mais non ce quatrième membre lui-même ; j’ai bien cependant une règle pour le chercher dans l’expérience, et une marque pour l’y découvrir. (KrV, A 179-180/B 222; OP I, 917)[15].

Nous pourrions conclure qu’une telle référence à ce que nous ne pouvons pas atteindre par l’expérience, est cependant constitutive de l’expérience ellemême, une expérience qui ne peut être confinée au niveau des phénomènes.

En conclusion : d’une part Kant souligne la distinction entre connaître et penser, entre constitutif et régulatif, de l’autre il se réfère inévitablement à la possibilité d’une considération qui déborde le conditionné, à la recherche de ce qui est en soi nécessaire, jusque à l’Être absolument nécessaire, le “Schlechthin nothwendiges Wesen” à partir duquel nous avons commencé nos considérations. En ce sens, la structure de la pensée antinomique, que nous avons examiné par rapport à la quatrième antinomie, nous fait retourner à ce principe de l’analogie qui représente un moment décisif de la conception classique, dans laquelle il reste vrai ce que Kant a écrit à propos de la preuve cosmologique:

[...] quoique je doive admettre quelque chose de nécessaire pour ce qui existe en général, je ne puis cependant penser aucune chose singulière comme nécessaire en soi, ce qui revient à dire que je ne puis jamais achever la régression vers les conditions de l’existence sans admettre un être nécessaire, mais que je ne saurais jamais commencer par lui. (KrV, A 615616/B 643-644 ; OP I, 1227)[16].

Cette impossibilité de commencer de l’Être nécessaire afin de tirer de lui toutes nos connaissances représente la caractéristique typique des critiques soulevées par Thomas au regard de l’argument anselmien, mais cela ne signifie pas que l’Être nécessaire ne puisse être atteint d’une autre manière, une fois clarifié, cependant, le caractère spécifique de la pensée métaphysique, qui ne prétend jamais de déterminer ses objets comme les objets de l’expérience, mais se propose plutôt de clarifier les raisons et le fondement ultime de sa possibilité.

ABSTRACT: The challenge of the antinomies plays a decisive role in the development of Kantian thought. This becomes particularly significant with reference to the absolutely necessary Being, which should exceed the phenomenal domain even when, as Kant says in the fourth antinomy, it is considered as a part of the world. In the structure of the antinomies we are pushed beyond experience towards a Being which radically transcends the world; in this sense, even within Kantian thought, the classical analogy remains the specific structure of metaphysics, especially by virtue of the possibility of expressing transcendence without reducing it to the phenomenal level.

KEYWORDS: Kant. Antinomies. Metaphysics. Analogy.

BIBLIOGRAhIE

FAGGIOTTO, Pietro. Introduzione alla metafisica kantiana dell’analogia. Milano: Massimo 1989.

______. La metafisica kantiana della analogia. Trento: Verifiche 1996.

KANT, Immanuel. Gesammelte Schriften. Hrsg. von der Keoniglich Preussischen Akademie der Wissenschaften. Berlin: Walter De Gruyter, 1910-1983.  28v.

______. Oeuvres philosophiques de Kant. Paris : Gallimard, 1980-1986.  3v. (Bibliothéque de la Pléiade, 286, 317, 332).

______. Critica della ragion pura. Trad. par Giovanni Gentile et Giuseppe LombardoRadice, rev. par Vittorio Mathieu. Roma-Bari: Laterza, 200010.

______. Critica della ragion pura. Trad. par Costantino Esposito. Milano: Bompiani, 20123.

WOLFF, Christian. Vernünfftige Gedancken von Gott, der Welt und der Seele des Menschen, auch allen Dingen überhaupt. In: CORR, Charles A. (Ed.). Wolff’s Gesammelte Werke, I, 2. Hildesheim: G. Olms, 1983. 18

Enviado em: 08/09/2014

Recebido em: 29/09/2014



[1] Département de Philosophie, Pédagogie  et Psychologie.  Université  de Vérone, Italie. ferdinando. marcolungo@univr.it. Après la maîtrise (1972, ma recherche s’est déroulée près de l’institut d’Histoire de la philosophie de l’université de Padoue. Professeur associé à l’Université de Vérone, depuis 1984/85; professeur extraordinaire à l’Université de Cassino (FR), depuis 1986/87; professeur ordinaire à l’université de Vérone, depuis 1990/91. Ma recherche s’est adressée aux sujets de philosophie théorétique, avec des volumes et essais sur le problème de la connaissance en Giuseppe Zamboni, 1875-1950: Scienza e filosofia in G. Zamboni, Padova : Antenore, 1975 et la publication d’inédits: Dizionario filosofico, Milano : Vita e Pensiero, 1978; Corso di gnoseologia pura elementare, Milano : IPL, 1990, voll. 1-2, pp. 549 e 463). J’ai déroulé recherches de philosophie morale, avec les volumes Christianesimo e metafisica classica, Rimini : Maggioli, 1981; Etica e metafisica in Emmanuel Lévinas, Milano : IPL, 1995; le soin des volumes Wittgenstein à Cassino, Roma : Borla, 1991; Provocazioni del pensiero postmoderno, Torino : Rosenberg & Sellier, 2000; Descartes e il destino della metafisica, Padova : Il Poligrafo, 2002. De manière continue je me suis occupé, en outre, de la pensée de Christian Wolff, avec des essais qui vont du volume Wolff e il possibile, Padova : Antenore, 1982, au soin du volume Christian Wolff tra psicologia empirica e psicologia razionale, Hildesheim-New York : Olms, 2007, audelà de nombreuses interventions et recherches spécifiques sur les différents moments du rationalisme wolffien et sur sa fortune dans la philosophie italienne du XVIIIe Siècle. Intérêt spécial j’ai dédié aussi à la philosophie italienne du XIXe et du XXe Siecle.

[2] Plus fidèle la traduction de la thèse par Costantino Esposito: il traduit “Zu der Welt gehöret […]”, par “Al mondo appartiene […]”; dans la traduction de l’antithèse il suit cependant Gentile: “In nessun luogo esiste…” (KANT, 2012, p. 687).

[3] “[…] so kann man nachher davon nicht abspringen und auf etwas übergehen, was gar nicht in die Reihe als ein Glied gehört”.

[4] “Wollen wir nun dieses nothwendige Wesen nach seiner Beschaffenheit näher bestimmen, so suchen wir nicht dasjenige, was hinreichend ist, aus seinem Begriffe die Nothwendigkeit des Daseins zu begreifen; denn könnten wir dieses, so hätten wir keine empirische Voraussetzung nöthig; nein, wir suchen nur die negative Bedingung (conditio sine qua non), ohne welche ein Wesen nicht absolut nothwendig sein würde”.

[5] “Nun würde das in aller andern Art von Schlüssen aus einer gegebenen Folge auf ihren Grund wohl angehen; es trifft sich aber hier unglücklicher Weise, daß die Bedingung, die man zur absoluten Nothwendigkeit fordert, nur in einem einzigen Wesen angetroffen werden kann, welches daher in seinem Begriffe alles, was zur absoluten Nothwendigkeit erforderlich ist, enthalten müßte”.

[6] “Alle Möglichkeit ist in irgend etwas Wirklichem gegeben, entweder in demselben als eine Bestimmung, oder durch dasselbe als eine Folge”.

[7] “[…] um seinen Grund recht sicher zu legen, fußt sich [...] auf Erfahrung [...]. Dieser Erfahrung aber bedient sich der kosmologische Beweis nur, um einen einzigen Schritt zu thun, nämlich zum Dasein eines nothwendigen Wesens überhaupt”.

[8] “Dagegen mag ich einen Begriff von einem Dinge annehmen, welchen ich will, so finde ich, daß sein Dasein niemals von mir als schlechterdings nothwendig vorgestellt werden könne, und daß mich nichts hindere, es mag existiren, was da wolle, das Nichtsein desselben zu denken; mithin ich zwar zu dem Existirenden überhaupt etwas Nothwendiges annehmen müsse, kein einziges Ding aber selbst als an sich nothwendig denken könne”.

[9] “Die unbedingte Nothwendigkeit, die wir als den letzten Träger aller Dinge so unentbehrlich bedürfen, ist der wahre Abgrund für die menschliche Vernunft”.

[10] “[…] nicht etwa bloß eine blindwirkende ewige Natur als die Wurzel der Dinge, sondern ein höchstes Wesen, das durch Verstand und Freiheit der Urheber der Dinge sein soll”.

[11] “Wir werden künftig von den moralischen Gesetzen zeigen, daß sie das Dasein eines höchsten Wesens nicht bloß voraussetzen, sondern auch, da sie in anderweitiger Betrachtung schlechterdings nothwendig sind, es mit Recht, aber freilich nur praktisch, postuliren”.

[12] “Dadurch nun, daß die dynamischen Ideen eine Bedingung der Erscheinungen außer der Reihe derselben, d. i. eine solche, die selbst nicht Erscheinung ist, zulassen, geschieht etwas, was von dem

[13] “Denn das in sich selbst ganz und gar nicht gegründete, sondern stets bedingte Dasein der Erscheinungen fordert uns auf: uns nach etwas von allen Erscheinungen Unterschiedenem, mithin einem intelligibelen Gegenstande umzusehen, bei welchem diese Zufälligkeit aufhöre”.

[14] “So bleibt uns nichts anders übrig als die Analogie, nach der wir die Erfahrungsbegriffe nutzen, um uns von intelligibelen Dingen, von denen wir an sich nicht die mindeste Kenntnis haben, doch irgend einigen Begriff zu machen”.

[15] “[…] in der Philosophie ist die Analogie nicht die Gleichheit zweier quantitativen, sondern qualitativen Verhältnisse, wo ich aus drei gegebenen Gliedern nur das Verhältnis zu einem vierten, nicht aber dieses vierte Glied selbst erkennen, und a priori geben kann, wohl aber eine Regel habe, es in der Erfahrung zu suchen, und ein Merkmal, es in derselben aufzufinden”.

[16] “[…] mithin ich zwar zu dem Existirenden überhaupt etwas Nothwendiges annehmen müsse, kein einziges Ding aber selbst als an sich nothwendig denken könne. Das heißt: ich kann das Zurückgehenzu den Bedingungen des Existirens niemals vollenden, ohne ein nothwendiges Wesen anzunehmen; ich kann aber von demselben niemals anfangen”.